Le traité de Lausanne, dernier signé à l’issue de la Première Guerre mondiale, fait l’objet d’une exposition dans la ville suisse qui lui a donné son nom.
Si le traité de Versailles, signé entre l’Allemagne et les Alliés, est resté célèbre alors que presque toutes ses clauses ont été effacées dans les deux décennies de l’entre-deux-guerres, il n’en va pas de même pour celui de Lausanne, bien que ses dispositions restent pour l’essentiel en vigueur aujourd’hui encore.
Réunie dans le palais de Rumine, la « Conférence pour la paix en Orient », selon le nom qu’on lui donna alors, connut pourtant un retentissement considérable pendant tout le premier semestre de 1923 : tout le monde attendait cet ultime accord de paix, signe officiel que la Grande Guerre serait enfin terminée. Les journaux du monde entier avaient envoyé leurs meilleures plumes dans la ville suisse, ainsi Ernest Hemingway.
Le nouveau traité remplaçait celui conclu en 1920 à Sèvres et que les Turcs avaient immédiatement remis en cause. Les signataires représentaient les Puissances alliées d’un côté (Empire britannique, France, Italie, Japon, Grèce, Roumanie et État serbe-croate-slovène) et, de l’autre, la Turquie, dont la délégation était menée par Ismet Inönü. Les principales dispositions touchaient aux frontières – l’empire ottoman avait été drastiquement réduit et démembré à Sèvres – et aux populations de la Turquie nouvelle : à un vaste empire multiculturel succédait en effet un État-nation qui se voulait principalement, pour ne pas dire exclusivement, turc et musulman. Cette conception entraîna d’énormes transferts de populations : 700 à 800 000 musulmans installés de longue date dans la partie occidentale (perdue) de l’empire durent intégrer le nouvel État et des chrétiens, grecs, arméniens, bulgares (plus d’1,3 million au total) firent le chemin inverse, souvent d’ailleurs pour des pays occidentaux ou les États-Unis. Autre modification de taille par rapport au traité de 1920 : la proposition de créer deux États indépendants, l’un pour les Arméniens et l’autre pour les Kurdes, fut totalement absente des négociations – leurs représentants n’avaient d’ailleurs pas été invités à y participer. Le traité abolit également les capitulations datant pour les plus anciennes du xvie siècle qui accordaient des privilèges, notamment économiques, aux puissances occidentales, tout en maintenant l’internationalisation des détroits, sans restriction ni contrôle, pour les bateaux et les avions. Ce fut enfin une grande victoire diplomatique pour le tout jeune gouvernement dont la légitimité et la souveraineté étaient reconnues aux yeux du monde. Son chef, Mustafa Kemal, redoubla cette reconnaissance en installant sa capitale à Ankara, acte symbolique.
Dès le 25 juillet 1923, un reporter suisse écrivait : « La paix est faite. Nul ne peut dire ce qu’elle donnera à l’humanité anxieuse. Pour Lausanne, le 24 juillet restera en tout état de cause un grand jour, un jour où à la joie se mêla une légitime fierté. » Ce n’est pas par hasard qu’en 2020 le président Recep Tayyip Erdoğan a choisi le 24 juillet, date que tous les écoliers turcs connaissent, pour célébrer la transformation en mosquée de Sainte-Sophie.
Lausanne est devenu aujourd’hui un enjeu d’histoire : les commissaires de l’exposition ont souhaité insister sur cet aspect en montrant au public des documents administratifs, des photographies, des archives qui brossent le contexte de la conférence – et même une copie de la table sur laquelle le traité fut signé, réalisée par une artiste kurde. Les comptes furent en effet rigoureusement tenus par l’administration suisse : même le guet de la cathédrale envoya sa facture pour la sonnerie générale des cloches saluant la signature… Un fanion en soie brodée d’un régiment assyro-chaldéen, des objets liturgiques témoignent de la présence chrétienne en Anatolie pour évoquer la dimension humaine des transferts de population.
Mais, en parallèle, le traité reste aussi un enjeu de mémoire(s), mémoires contrastées selon les points de vue : douze témoignages vidéo montrent ainsi des personnes dont l’histoire familiale a été touchée, directement ou non, par ses effets. Un projet plus global, piloté par un comité d’historiennes et d’historiens, est mené sur ce thème (thelausanneproject.com). Deux films d’actualité de l’époque sont projetés : l’arrivée des délégations au pied du Palais de Rumine et le retour des prisonniers turcs à Smyrne. Un catalogue est disponible (par Gaby Fierz, Laurent Golay et Diana Le Dinh), 128 p., 19 €.
Frontières. Le Traité de Lausanne, 1923 – 2023,
jusqu’au 8 octobre au Musée historique de Lausanne
Musée Historique Lausanne (MHL)
Place de la Cathédrale 4
1005 Lausanne
Téléphone +41 (0)21 315 41 01
