Le 29 octobre 1923, la Grande Assemblée nationale proclamait la naissance de la République de Turquie. Mustafa Kemal Atatürk, vainqueur de la guerre d’indépendance et considéré comme le « père de la nation », devenait le premier président d’un État qu’il allait transformer en profondeur. « Dans la grande nuit qui enveloppait le monde, la Turquie a été illuminée par la flamme qu’Atatürk a allumée », déclarait John F. Kennedy en 1963, lors du 25e anniversaire de sa mort et du 40e anniversaire de la République.
Conscient de l’effondrement de l’Empire ottoman, Atatürk voulait bâtir un État moderne, indépendant et tourné vers l’avenir. Son objectif était clair : rompre avec le passé impérial et religieux pour poser les bases d’une nation laïque et républicaine. Inspiré par les idéaux des Lumières et des révolutions occidentales, il rêvait d’une Turquie souveraine, dotée d’institutions solides, capable de rivaliser avec l’Europe et de s’inscrire dans le concert des nations modernes.
Ses réformes furent profondes et décisives : abolition du sultanat (1922), suppression du califat (1924), adoption de l’alphabet latin (1928), pour ne citer que les principales. Une attention particulière fut accordée aux femmes : elles obtinrent l’égalité civile avec le Code de 1926, puis le droit de vote et d’éligibilité aux élections législatives dès 1934. La Turquie devint ainsi l’un des pays pionniers en la matière.
Ce projet ne fut pas conçu en vase clos. Atatürk, nourri par sa formation militaire et ses lectures, regardait vers l’Occident pour transformer son pays. La France joua un rôle particulier dans cet imaginaire républicain. L’héritage de la Révolution de 1789, qui avait mis fin à la monarchie absolue en instaurant la séparation des pouvoirs et la souveraineté populaire, marqua profondément sa vision. La centralisation administrative, l’école publique laïque et le nouveau Code civil de 1926, largement inspiré du modèle suisse mais marqué par l’esprit de la codification française, en sont le reflet.
La réforme des universités illustre aussi ce tournant. En 1933, l’ancienne institution ottomane fut remplacée par l’Université d’Istanbul, sur un modèle moderne et laïque. Dans le même temps, la Turquie ouvrit ses portes à de nombreux professeurs européens, notamment allemands fuyant le nazisme, qui contribuèrent à refonder l’enseignement supérieur et à former une nouvelle élite intellectuelle. Atatürk compléta cette stratégie en envoyant des étudiants turcs dans les grandes universités européennes, afin qu’ils deviennent à leur tour les modèles d’une République tournée vers la science, le progrès et la modernité.
Alors que la République turque célèbre son 102e anniversaire, c’est aussi l’héritage universel d’Atatürk que nous saluons : celui d’un État moderne, ouvert, laïc et tourné vers l’avenir, qui demeure un repère dans l’histoire contemporaine.
Pour aller plus loin :
Georges Daniel, Atatürk, une certaine idée de la Turquie, L’Harmattan, 2000.
Paul Dumont, Mustafa Kemal invente la Turquie moderne, Bruxelles, Complexe, 1983, rééd. 1997 et 2006.
Alexandre Jevakhoff, Kemal Atatürk, les chemins de l’Occident, Tallandier, 2004 et Kemal Atatürk, père fondateur de la Turquie, Tallandier, collection « Texto », 2021.
Sans oublier le roman de Yakup Kadri Karaosmanoglu, Ankara, éditions Turquoise, 2008.
İris GÜZEL