Photographie et diversité : un regard transnational au service des femmes

Photo : Nanténé Traoré

Depuis son invention au XIXᵉ siècle, la photographie n’a cessé d’être un vecteur de transformation sociale. En figeant les corps, les gestes et les espaces, elle documente autant qu’elle interprète. Elle révèle les rapports de pouvoir, les normes, les invisibles, et accompagne les grandes mutations politiques : naissance du photojournalisme, luttes sociales, représentations des minorités, affirmation des identités. Aujourd’hui encore, à l’ère du numérique et de l’intelligence artificielle, la photographie demeure un outil essentiel pour comprendre nos sociétés et interroger la place que chacun y occupe.

Cette dimension sociologique se retrouve au cœur de Paris Photo, dont la 28e édition s’est tenue au Grand Palais du 13 au 16 novembre 2025. Première foire internationale dédiée à la photographie, Paris Photo explore depuis 1997 la manière dont le médium façonne notre regard collectif, en mettant en dialogue œuvres historiques, pratiques contemporaines et nouvelles formes d’expression.

L’évolution de la place des femmes dans l’image rejoint également celle de leur place dans la société. De nouveaux cadres juridiques européens renforcent aujourd’hui l’égalité, avec une présence plus importante des femmes dans les instances de décision, une action plus ferme contre les violences de genre et des politiques culturelles plus inclusives. Dans ce contexte, la visibilité des femmes dans les arts visuels devient un enjeu culturel et politique central. La photographie, par son pouvoir de représentation, est directement impliquée dans cette transformation.

C’est précisément pour répondre à ce besoin que Paris Photo a créé en 2018 le parcours Elles × Paris Photo, en partenariat avec le ministère de la Culture. Ce programme met en lumière le travail des femmes photographes et interroge la manière dont leurs regards ont été marginalisés, effacés ou réinterprétés au fil de l’histoire. En quelques années, il a permis de faire passer la représentation des artistes femmes de 20 % à près de 40 %. L’édition 2025 explore les relations entre la figure féminine et son environnement : espace public, espace intime, espace symbolique, révélant comment les corps féminins habitent, résistent, s’affirment ou disparaissent dans l’image.

Devrim Bayar, commissaire d’exposition belgo-turque, est aujourd’hui curatrice senior au KANAL-Centre Pompidou à Bruxelles. Figure dynamique de la scène européenne, elle s’est illustrée au WIELS, où elle a mené des expositions marquantes mêlant artistes établis et émergents. Sa pratique, résolument transdisciplinaire, s’étend également à des projets indépendants qui explorent les liens entre arts visuels, édition et performance. Engagée en faveur des voix marginalisées, elle a notamment initié une foire du livre indépendante ouverte aux productions LGBTQIA+ et développé un programme sonore diffusé sur la radio communautaire Kiosk.

Forte de son héritage belgo-turc, sa famille paternelle vivant toujours en Turquie, où elle retourne régulièrement, Devrim Bayar nourrit un attachement profond à ce pays et à ses scènes culturelles. Cette sensibilité transnationale, à la croisée de l’Europe occidentale et du monde turc, imprègne son regard et renforce son attention aux identités multiples, aux diasporas et aux récits visuels qui traversent les frontières.

Pour l’édition 2025 du parcours Elles × Paris Photo, conçu pour valoriser les femmes et les minorités de genre dans un médium longtemps dominé par le regard masculin, Devrim Bayar a sélectionné une cinquantaine d’artistes parmi plus de 800 propositions. Son fil conducteur était d’explorer la relation complexe entre la figure (souvent féminine) et le décor qui l’entoure : entre présence, effacement, résistance ou douceur. Sa sélection traverse les générations, des pionnières comme Julia Margaret Cameron aux artistes contemporaines telles qu’Hélène Amouzou, en passant par Yildiz Moran ou Gauri Gill, dont elle souligne la puissance documentaire autant que la force poétique.

Son commissariat incarne pleinement l’ambition d’Elles × Paris Photo : offrir un parcours alternatif, engagé, et ouvrir de nouveaux espaces de visibilité à celles et ceux qui réinventent les images et les mondes qu’elles portent.

En mettant en lumière des créatrices venues d’horizons multiples, Paris Photo affirme la vitalité d’un dialogue artistique qui dépasse les frontières. A travers la vision transnationale de Devrim Bayar, la photographie apparaît comme un espace où se croisent cultures, récits et mémoires. Ce parcours rappelle combien les échanges culturels enrichissent notre compréhension du monde et ouvrent la voie à des représentations plus inclusives et plus justes.

Je remercie chaleureusement Devrim Bayar d’avoir répondu à ma sollicitation et d’avoir partagé avec générosité les éclairages qui ont enrichi cet article.

İris GÜZEL

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