Tous les ans depuis 2016 le Bon Marché organise le « mois du Blanc » avec une carte blanche, forcément, donnée à un artiste étranger, qui doit proposer une œuvre originale – et blanche.
Cette année, c’est Mehmet Ali Uysal qui investit les vitrines extérieures et les espaces gigantesques du magasin avec une installation sur le thème de l’eau : deux immenses icebergs pendus sous la verrière et un grand bateau aux hublots ouvrant sur la mer.
Mehmet Ali Uysal nous a longuement expliqué son œuvre.
Né en 1976 à Mersin, Mehmet Ali Uysal est très jeune attiré par l’art, suit une formation d’architecte puis se dirige vers la sculpture. Après ses cours à l’université Hacettepe d’Ankara, il passe quelques mois à Bourges dans le cadre d’un échange, à l’École nationale supérieure d’art. Il se partage entre la France et la Turquie, du moins quand il n’expose pas à Beijing, Londres, Shanghai, New York, Dubaï ou Berlin. Le monde entier l’enchante et il réenchante le monde entier, que ce soit avec une pince à linge géante sur une prairie de la Meuse, un origami de bateau en plein air ou sa dernière installation au Bon Marché Rive Gauche à Paris, où nous avons eu la chance de le rencontrer pour le Comité France-Turquie.
Les deux mots qui caractérisent le mieux, peut-être, l’œuvre de Mehmet, sont le gigantisme et le minimalisme, un paradoxe ! Son installation « Su » l’illustre à merveille : avant même d’entrer, les vitrines ruisselantes de la rue de Sèvres font écho à la fonte des glaces. Puis en montant dans les étages par l’escalator, on est saisi par les deux gigantesques icebergs en tissu argenté qui tombent de la verrière, avec leurs multiples facettes qui reflètent les lumières, naturelle et artificielle. L’impression de froidure est atténuée par la douceur des lueurs. En introduisant ces signaux du réchauffement climatique dans un lieu emblématique du consumérisme contemporain, puisque les fondateurs du Bon Marché ont inventé les grands magasins, l’artiste joue un rôle social bien plus fort que s’il les avait présentés dans une galerie ou un musée, lieux de conservation de l’art et non de consommation.
Au dernier étage, un bateau de bois peint en blanc attend le visiteur, lignes épurées, silhouette géométrique. On entre et, par les hublots qui scandent les murs, on voit la mer, on voit vraiment la mer ! Est-ce le symbole du Titanic, de notre civilisation matérielle en train de sombrer après avoir heurté les icebergs de l’ultra-consommation ? est-ce au contraire l’arche de Noé salvatrice qui permettra de survivre à la destruction pour une nouvelle page dans l’histoire de l’humanité ? A chacun de se faire son idée et son interprétation. Car l’art, pour Mehmet, n’est pas que cérébral, une construction de l’esprit qui exprime la pensée de l’artiste, c’est aussi une émotion, des sensations, une poésie, un moyen de rêver. Et si possible à travers le quotidien le plus universel, en l’occurrence, l’eau. « Avec cette installation, je souhaite avant tout créer de la surprise et émouvoir. En tant qu’artiste, c’est le mieux que je puisse faire », affirme-t-il.
Une vidéo le montre en train de nager en Normandie au mois d’octobre, autre belle performance pour un Méditerranéen habitué à des eaux plus chaudes !
Pendant que nous l’interviewons, des visiteurs passent, de tous âges, des enfants (c’était un mercredi après-midi), des adultes, des personnes âgées, tous prenant le temps de regarder, de visionner la vidéo, d’entrer dans le bateau. L’installation, commandée avant la pandémie, a cependant mûri durant le confinement, que Mehmet a passé dans son appartement parisien. Et d’autres projets l’occupent déjà !