Des Français à Istanbul

Si des Français vivaient à Constantinople bien avant la conquête ottomane, c’est à partir du règne de François Ier (1515-1547) que leur nombre augmente, avec l’établissement d’une ambassade permanente et la signature de traités officiels. Diplomates et officiers, négociants et artisans, capucins et lazaristes, savants et artistes s’installent, pour un temps court ou pour toujours, dans la capitale ottomane pleine de charme et d’opportunités. Une liaison maritime régulière relie Marseille aux grands ports de l’empire et aux échelles du Levant.

Ce gros ouvrage recense, alphabétiquement, les Français qui ont laissé une trace dans un registre ou une archive – et ils sont nombreux, près de 8 000 !

Il y a les figures connues, tel le Normand Guillaume Postel, orphelin à 8 ans, recueilli et instruit au Collège parisien Sainte-Barbe où il apprend le latin, le grec, l’espagnol, le portugais, l’hébreu. Dans la suite de l’ambassadeur La Forest à Constantinople, il se met à l’arabe et au turc, et François Ier le charge de choisir des livres pour la bibliothèque de son château à Fontainebleau – puis la chance tourne, le voilà accusé d’hérésie à Venise, emprisonné à Rome, condamné à Paris… Autre célébrité, le peintre valenciennois Van Mour qui nous a laissé tant de scènes montrant, entre autres, les cinq ambassadeurs pour lesquels il travailla dans leurs audiences auprès du sultan ou du vizir.

Mais plus nombreux encore sont les inconnus, ainsi Lucas Baudoin envoyé avec cinq autres garçons par Louis XIV à Constantinople apprendre les langues orientales ; visiblement peu doué, il est renvoyé l’année suivante à Paris et disparaît, au moins des archives.

Beaucoup de femmes aussi, souvent seulement désignées comme épouses ou marraines sur les registres paroissiaux, mais dont on devine parfois un peu plus : en 1685, année de la révocation de l’édit de Nantes – qui interdit le protestantisme dans le royaume de France –, Constance Meunier se marie à Constantinople avec un horloger lyonnais et protestant, Jean Sarrazin. Tout laisse à penser que le couple ne reviendra pas de sitôt.

On croise aussi la Bordelaise Jeanne de Virdue, femme de chambre à l’ambassade, Jean-Baptiste Viollet, patron de barque, le tailleur Hugues Jousseau, Pierre Pujos, originaire d’Auch, tambour dans l’infanterie, Nicolas Renard, déserteur de l’armée vénitienne qui trouve refuge au Palais de France, Retaux de la Villette, compromis dans l’affaire du collier de la reine (dont il avait contrefait la signature) et banni en Turquie où il s’engage chez un seigneur russe, le dentiste Dutil ou Duteil capturé lors de l’expédition d’Égypte en 1798 et emprisonné d’abord à Yedi Kule puis à la forteresse de Kirasse – d’où, dit-on, le cuisinier Lucullus rapporta le premier cerisier à Rome – ou encore l’esclave André, pendu au bagne de Constantinople en 1751 pour n’avoir pu empêcher l’évasion d’une vingtaine d’autres bagnards.

Autant de parcours simples ou aventureux, dignes des meilleurs romans historiques. L’ouvrage, très solidement documenté, pourvu d’index thématiques, abondamment illustré, riche d’anecdotes, s’arrête à l’époque de Bonaparte car l’expédition d’Égypte marque un coup d’arrêt durable dans les relations bilatérales singulièrement fortes qui étonnaient, inquiétaient parfois, les autres puissances européennes. Mais on rêverait bien sûr d’une suite !

Les Français à Constantinople de François Ier à Bonaparte par Anne Mézin et Catherine Vigne, Geuthner, 2020, 886 p., 121 ill., 60 euros.

Les auteures :

Anne Mézin, responsable aux Archives nationales des fonds des consulats d’Ancien Régime, a travaillé sur le personnel et les correspondances consulaires, dont celle des ambassadeurs de France à Constantinople. Elle a publié Les consuls de France au siècle des Lumières, 1715-1792 (1997) et, avec Vladislav Rjéoutski, Les Français en Russie au siècle des Lumières (2011).

Catherine Vigne, spécialiste de la peinture européenne dans l’Empire ottoman, a publié des textes de voyage et des études sur l’Empire ottoman. Elle a réédité en 1989 l’ouvrage de son grand-père, Auguste Boppe, Les Peintres du Bosphore au XVIIIe siècle.

Compte rendu signé par Huguette Meunier-Chuvin.

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