Lady Stanhope, une Anglaise dans l’empire ottoman

Rien ne prédestinait Hester Stanhope (1776-1839), aristocrate originaire du Kent, petite-fille et nièce de deux Premiers ministres britanniques, à devenir une figure légendaire des montagnes du Liban. Rien sinon, peut-être, un caractère indomptable qui la pousse à dire non à tout : à sa famille, au mariage, aux loisirs superficiels réservés aux femmes de son statut, et même à l’Angleterre, puisqu’elle clame haut et fort son admiration pour la Révolution française puis pour Bonaparte.

A la mort de son oncle William Pitt en 1810, elle quitte Londres – à jamais. Traversant une Méditerranée alors largement dominée par la Grande-Bretagne, elle fait naufrage à Rhodes et perd tous ses biens, gagne difficilement Alexandrie, repart pour la Grèce et de là Constantinople. Le goût du voyage l’entraîne ensuite vers la Syrie, Palmyre où des Bédouins la sacrent reine, et le Liban où elle découvre ce qui sera son ermitage : Joun, un piton rocheux isolé au cœur du pays druze, qu’elle transforme, à grands frais, en petit paradis verdoyant. Imperméable à la peur selon ses propres dires, elle affronte aussi bien les émirs et les pachas que les pillards et les guerriers, elle ouvre sa cassette et sa maison aux blessés, aux orphelins, aux pestiférés – elle-même attrape la peste dont elle réchappe. Elle écrit au monde entier, aux consuls, à son cher jeune amant Michael Bruce, à la reine Victoria, à Charles Meryon, son médecin attitré qu’elle n’hésite pas à faire revenir plusieurs fois depuis Londres ; vêtue « à l’orientale », burnous, châle, turban et babouches, elle reçoit la visite de Lamartine à qui elle tire son horoscope, du poète anglais Kingdale, du prince Pückler-Muskau, de Frederic Madden, futur conservateur du British Museum, leur offrant selon les heures du café, de l’alcool ou de fumer le chibouk. Difficile d’imaginer vie plus romanesque.

Sa correspondance, qui l’occupe plusieurs heures chaque jour, fourmille d’indications précieuses sur les lieux où elle séjourne. Dans sa maison stambouliote de Therapia (Tarabya), elle reçoit l’ambassadeur britannique, le chargé d’affaires de Napoléon, le Capitan pacha qui la fait monter sur un bateau militaire ottoman. Elle note les prémices de la guerre d’indépendance grecque, les soulèvements égyptiens contre le sultan, les jeux de pouvoir entre les factions au Liban. Mais sa réelle lucidité politique et son humanisme profond sont contrebalancés par une tendance à la neurasthénie et un penchant avéré pour l’astrologie et la divination, et un tempérament tyrannique. Mélange explosif que l’enthousiaste biographie romancée de Laure Dominique Agniel explore avec une sympathie avouée pour la « sitt inglese », la princesse anglaise.

Étrangement, seuls les Français et les Turcs trouvent grâce aux yeux de cette Anglaise. Raison supplémentaire pour le Comité France-Turquie de s’intéresser à cette fort étonnante aventurière !

Par Huguette Meunier-Chuvin

 Lady Stanhope. L’amazone du Liban, par Laure Dominique Agniel, Tallandier, 2021, 223 p., 18,90 €.

« L’hiver 1811 à Constantinople est particulièrement froid. En février, la capitale est couverte d’une épaisse couche de neige. En mars s’enchaînent les tempêtes. Hester regrette d’avoir quitté Athènes si vite car le climat y est moins rude qu’en Turquie.

Au printemps, les amants décident d’aller en Anatolie, à Brousse, au bord de la mer de Marmara, une ville célèbre pour ses hammams et son climat délicieux. “Au pied du mont Olympe, Brousse est au cœur d’une plaine immense, plus riche et plus belle que toutes celles que j’ai vues, couverte d’arbres, de fleurs, de buissons. Les chevaux sont les meilleurs que j’aie jamais trouvés ! Et les femmes, comme elles sont belles ! Elles vont aux bains avec tous leurs bijoux, lient leurs cheveux avec des fleurs, s’asseyent sous des arbres pour manger et parler jusqu’au soir”. Quand elle ne se rend pas aux bains, Hester se consacre à sa passion des chevaux qu’elle trouve particulièrement racés en Turquie. »


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